Ils ont été durant 10 ans en France les chantres de la fête libre, de la "Free Party". Mais d'eux, on ne sait rien.
"We Had a Dream" de Damien Raclot Dauillac, qui sort le 8 novembre en DVD, répare cette lacune en levant le voile sur les hommes derrière le mythe Heretiks.
Des petites fêtes clandestines à la scène du Zénith, en passant par les technivals illégaux et les coups d'éclat en plein Paris, ce film témoigne d'une folle odyssée de la contre-culture.
La tribu des Heretiks naît au mitan des années 90, sur le modèle des Spiral Tribes britanniques. Constitué d'un noyau dur de moins de dix personnes, il s'agit d'un collectif d'amis qui se retrouvent sous la bannière de la musique techno et de l'urgence de faire la fête où bon leur semble et avec le minimum de moyens: un sound-system est né.
Il se baptise Heretik pour marquer son "opposition à l'ordre établi". Un esprit libre et libertaire proche du mouvement punk, celui de la débrouille et de la marge, souffle sur ce collectif. Très vite, les Heretiks animent des fêtes techno (gratuites, où le public participe selon ses moyens) qui retiennent l'attention et donnent envie de les suivre.
Surveillés par les RG, les Heretiks inquiètent les autorités
Sans tarder, les autorités missionnent une équipe des Renseignements Généraux pour "étudier le mouvement", comprendre ses motivations et garder un oeil sur ce "vivier subversif" où la drogue coule à flots.
Durant des années, les Heretiks vont multiplier "les exploits" (c'est le terme même du policier des RG qui témoigne tout au long du film) et jouer au chat et à la souris avec les autorités. Plus ces derniers les attaquent, les entravent, les sanctionnent, notamment en confisquant le matériel - "tout notre vie!" -, plus le groupe d'amis rivalise de ruse et d'intelligence pour les contrer. Les Heretiks se radicalisent, se politisent.
Soudés par la lutte et les drames intimes, galvanisés par une tragédie collective, ces dangereux insoumis décident de voir plus grand que ces "petits bouts de forêts ou ces hangars glacials" qui sont leur ordinaire. "Nous ce qu'on veut, c'est cramer la capitale, investir des lieux incroyables".
Le coup d'éclat impensable de la piscine Molitor
Leur plus extraordinaire coup d'éclat, qui vaut à lui seul la vision de ce DVD, reste celui de la free party de la piscine Molitor dans le 16e arrondissement de Paris, près du parc des Princes.
Un lieu classé, alors désaffecté, qu'ils vont investir clandestinement et avec une minutie impensable. La préparation durera deux mois. Il faut casser des murs et tout organiser - le son, l'image et même la pyrotechnie - mais sans se faire repérer. Ils y parviendront. Déguisés en ouvriers et organisés en commandos.
Le policier des RG chargé de les surveiller témoigne: il n'avait rien vu venir. "On ne savait pas. Ca a été dantesque. Dans un lieu classé, ils ont réuni 6.000 personnes. C'était un exploit", reconnaît-il.
Le public, lui, en parle encore aujourd'hui avec des trémolos dans la voix. La fête de folie jusqu'à 11h du matin. Sans débordements ni violence à déplorer. "C'était hyper politique de réussir ça." Un défi à l'autorité inégalé pour le droit à faire la fête.
Des champs à l'Olympia
L'autre exploit à mettre au compte des Heretiks est sans doute l'intelligence avec laquelle ils ont su tirer parti de leur expérience pour négocier le virage de l'underground aux grandes scènes officielles, des free-parties dans les champs à l'Olympia en 2008. Et ce alors que l'arsenal législatif et répressif a réussi à tuer doucement le mouvement.
Constitué de nombreux entretiens sans langue de bois avec le noyau dur des Heretiks (Léo, Jano, KRS et Ben) et d'images d'époque filmées par la tribu, ce documentaire est passionnant. Mais il a aussi un petit goût d'inachevé.
On reste en particulier sur sa faim en ce qui concerne la musique, le cheminement musical de chacun et celui du collectif. A déplorer également, le manque criant de témoignages du public de leurs fêtes. Plutôt ironique d'avoir fait du policier des RG, au demeurant interessant et presque admiratif, quasiment l'unique regard extérieur posé sur la folle aventure de ces farouches activistes.
"We Had A Dream" de Damien Raclot-Dauliac (Heretik System)